Sons choisis et trouvés : contexte et affect dans les goûts musicaux

L’importance du contexte, toutes ces musiques qu’on n’écouterait pas sans le média par lequel on les a connues.

Sons choisis et trouvés : contexte et affect dans les goûts musicaux
Magasin de disques - Photo de cottonbro studio

Si vous êtes comme moi, vous écoutez de nombreux styles musicaux, d’époques et de provenances très variées, des tubes mainstream incontournables au pépites chinées dans les tréfonds obscurs d’un•e disquaire indépendant•e. Par le cheminement habituel de nos goûts musicaux, on a tendance à privilégier des choses qui se ressemblent sensiblement (salut les 20 groupes de metalcore que j’écoute) et à s’aventurer peu dans l’inconnu, ce que viennent renforcer les algorithmes rassurants de nos plateformes d’écoute.

Pour accompagner cette lecture, je vous ai mis quelques sons sympathiques tout au long de l'article. Et pour approfondir l'écoute plus tard, je vous ai préparé une playlist sur Spotify, avec des titres de ces artistes découvert•es aux hasard de mes errances musicales.

Ce qui contribue énormément à l’enrichissement de nos horizons musicaux, ce sont toutes ces découvertes complètement inopinées, glânées au détour de rencontres inattendues et qui peuvent avoir parfois un profond impact sur nous. J’imagine que vous trouverez bien d’autres occasions où dans vos vies, la musique vous a pris•e au dépourvu, lors d’une conférence, d’une soirée au bar ou d’un barbecue vegan en teknival… Typiquement, je n’y connais pas grand chose en anime, à part Maximum the Hormone découvert dans Death Note, ou encore Fear and Loathing in Las Vegas dans Parasyte. Racontez-nous en commentaire vos propres histoires !

Je pratique la playlist depuis mes premières cassettes et j’ai toujours apprécié de thématiser des sélections musicales. Depuis 2017 sur Deezer puis sur Spotify, je fais des playlists de saison : tous les trois mois, je commence une nouvelle sélection de titres (nouveautés, découvertes, recommandations…) que je vais beaucoup écouter pendant cette période avant de recommencer trois mois plus tard…

Séries TV et Films

Je consomme goulûment des séries TV depuis très longtemps, mais j’ai arrêté de regarder la télé vers 1999 au profit de sélections plus personnalisées via des moyens disons alternatifs. Je me suis très vite retrouvé•e avec des playlists de titres très variés, d’artistes plus ou moins connus. La logique des séries et films étant intimement liée aux aspects marketing des chaînes et studios qui poussent ces contenus, la musique peut parfois se résumer à un simple placement de produit. Tel producteur fait du lobbying pour que telle série utilise le dernier single de tel groupe et paf ça fait des chocapic, tout le monde va acheter l’album. Ce qui est d’ailleurs amusant avec ça, c’est que quand on a évolué dans des milieux plutôt indés, on n’est pas nécessairement hérmétiques à la musique mainstream, mais clairement on passe à côtés d’artistes que tout le monde connaît pourtant.

Agnes Obel - Familiar

Les séries plus “indépendantes” ou alternatives - je pense notamment à ce qui est ou était distribué par des SyFy, HBO et autres Starz - peuvent parfois proposer des contenus musicaux un peu plus confidentiels. Le cinéma est encore plus généreux en matière de sélection musicale avec un soin tout particulier dans énormément de films indépendants apporté à des scènes avec une chanson dont les paroles font écho à une situation, où la mélancolique mélodie répond directement au mal-être d’un personnage… Par exemple ce fut un plaisir de pouvoir écouter Mogwai signer la BO de la série française Les Revenants, ou encore les retourver accompagnés de Clint Mansell et du Kronos Quartet dans The Fountain. A l’époque où la série Misfits sort, chaque épisode est une découverte de groupes pour certains inconnus de mon prisme musical car sans forcément de lien direct avec ce que je connais déjà : Florence and the Machine, Klaxons, Kasabian, Foals

Plus jeune, je me rappelle de bandes originales comme celles de The Crow, Lost Highway, Natural Born Killers, tout autant de films un poil edgy que je regardais à l’époque. Metal, indus, folk, tellement de groupes dans ces albums qui ont eux-même ouvert la voix à bien d’autres. Je pourrais citer Spawn et ses crossovers metal/electro qui ont présenté un pan de culture probablement inconnu mutuellement à deux communautés en même temps. Depuis ces albums, je ne quitte pas une salle de cinéma sans avoir vu l’intégralité du générique puisque les crédits musicaux passent toujours à la fin.

Fun fact, parfois on retourne écouter des groupes plus mainstream sous un autre angle grâce à d’autres plus indépendants. Par exemple j’ai redécouvert Franz Ferdinand, groupe pas vraiment à mon goût de base, grâce à un titre comme Lucid Dreams, avec une fin plus électro. Et je n’aurais pas écouté ce titre sans The Bravery et le titre I Am Your Skin entendu dans la série Chuck.

L’un des outils qui m’a permis de cataloguer toutes ces trouvailles, c’est “Tunefind”, anciennement HeardOnTV, un site collaboratif qui s’efforce de répertorier tous les titres diffusés dans des séries, des films et des jeux vidéo. Parce que faire sa propre curation musicale, mine de rien ça demande d’être un peu organisé•e, de thématiser ses playlists ou d’avoir un solide moteur de recherche.

Kansas - Carry On Wayward Son (Montage Supernatural - spoilers toutes saisons)

Selon l’âge que vous avez, ce qu’on apelle les classiques peut vite englober un nombre impressionnant de références qu’on ne ressent pas forcément le besoin d’aller chiner. Dans le rock, la série Supernatural apporte à la table de quoi se régaler, au delà de l’incontrounable Carry On Wayward Son de Kansas. Dans le hip hop, la série Wu-Tang: An American Saga propose de façon romancée un tour d’horizon non exhaustif du hip hop new-yorkais. Le cinéma est un excellent moyen de découvrir de la musique classique, Chopin dans Exodus d’Otto Preminger, Mozart dans Amadeus de Milos Forman ou encore Beethoven dans le très compliqué Orange Mécanique de Stanley Kubrick.

Plus récemment, des oeuvres et émissions comme Barbie, Drag Race, Steven Universe ou She-Ra m’ont fait écouter nombre de chansons qui ne seraient jamais arrivées jusqu’à moi autrement. Directement adossée à la déconstruction qui a entraîné mon coming out enby, se poursuit une décomplexion à écouter des choses plus flamboyantes, dansantes, fun en somme. Même si cela reste très connu je n’ai apprécié Nicki Minaj qu’après l’avoir vue et écoutée lors d’une épisode de Drag Race. Non loin, la comédie musicale, qui dans sa version française ou américaine n’est vraiment pas quelque chose qui me captive - à part The Rocky Horror Picture Show - a réussi à m’attraper avec Hazbin Hotel, une série d'animation musicale américaine pour adulte.

Jeux vidéo

L’interactivité du jeu a ce pouvoir incommensurable de mettre les joueur•euses dans une position de contrôle de la situation - la plupart du temps - et de capter leur engagement. Un jeu narratif réussi pour moi, c’est une séquence ou le gameplay va de soi et je ne me demande pas ce que je dois faire, l’environnement me raconte une partie de l’histoire également. Mais surtout, la bande son apporte au tout quelque chose que la vie ne possède pas naturellement, un accompagnement musical pour catalyser nos émotions et ponctuer les moments plus importants - vous me direz qu’on peut toujours porter des écouteurs et vous n’avez pas tort. Cette influence prend d’autant plus d’importance quand la musique est diégétique. Si vous souhaitez approfondir ce sujet, la musique de jeu vidéo et le design sonore seront traités sous divers angles dans les publications d’Open Zones.

League of Legends, Pvris - Burn it Down

S’il est un jeu qui ne me captive pas - j’ai essayé une fois pour ne pas mourir idiot•e - mais dont la bande son est pour moi un émerveillement permanent pous diverses raisons, c’est League of Legends. Riot Games déploie un impressionnant dispositif de production musicale pour ses jeux et les événements e-sport qui les célèbrent.

On notera tout de même ici que le studio Riot a quelques casseroles au cul avec des accusations de culture du travail toxique, de discrimination de genre et de harcèlement sexuel. Et que sa communauté est loin d’être safe si vous n’êtes pas un homme cishet blanc.

Valorant a rejoint le rang des BO très soignées et Riot propose principalement de la musique orchestrale et k-pop dans son instrumentation avec des featurings de chanteur•euses internationaux•ales. Nous reviendrons sur la musique orchestrale de jeux vidéo plus bas. N’ayant jamais été particulièrement intéressé•e par les Idols, la j-pop et la k-pop se résumait à quelques titres glânés çà et là sans vraiment plus d’intérêt, mais K/DA, avec son line-up de divas et ses instrus percutantes, a ouvert une boîte de Pandore dont se sont par la suite échappé•es Blackpink, Stray Kids, Mamamoo et autres Jeon So-Mi. La qualité de la production de cette musique extrêmement populaire fait un peu rêver quand on est soi-même dans le métier, par sa versatilité et ironiquement sa constance.

Teophany - Befriending Spirits (Kena: Bridge of Spirits)

Le jeu vidéo, par sa diversité de sujet permet à l’instar du cinéma de se plonger dans des capsules temporelles et culturelles dans lesquelles les musiques traditionnelles tiennent une place centrale. Contrairement à un film qui va nous captiver deux ou trois heures, le jeu vidéo peut parfois nous retenir un peu plus longtemps. Et l’immersion passe aussi par cette transmission de musiques natives (parfois dans des interprétations inexactes et/ou romancées). Olivier Derivière nous propose par exemple dans A Plague Tale une vision grinçante d’un univers médiéval avec de la vielle à roue et des cordes torturées. The Rogue Prince of Persia a récemment permis à l’artiste Asadi de délivrer une interprétation électronique de ses racines en y mettant en valeur des instruments traditionnels. A Highland Song a offert à TALISK et Fourth Moon l’opportunité de composer dans un style irlandais, Kristofer Maddigan a remis le swing au goût du jour (quand même pas mais ça sonne bien) avec Cuphead, Austin Wintory danse avec des chants traditionnels mongols dans The Pathless.

La musique classique peut parfois être perçue comme hérmétique et porteuse d’une culture un peu bourgeoise où la virtuosité est synonyme de rang social. La musique orchestrale a naturellement évolué et les bandes sons majestueuses aux grands thèmes jonchent les chemin du cinéma, tant et si bien qu’on parle de musique cinématique.

A notre époque, faire de la musique peut-être une pratique accessible et bon marché. Diriger un orchestre symphonique, un groupe de percussions Taiko et un rack de synthèse modulaire en même temps est de l’ordre du possible. Et s’il est une discipline qui sait mettre à profit cet accès facilité à de grandes ressources musicales, c’est le jeu vidéo. On ne parle justement pas de musique de jeux vidéo comme un genre tellement le parapluie est grand.

L’un des maîtres incontestés de l’art de lier orchestration classique et musiques actuelles, c’est Masayoshi Soken qui délivre à travers Final Fantasy XIV un voyage à travers les genre musicaux défiant l’entendement dans une bande son de jeux vidéo. Marchant dans les pas de Nobuo Uematsu, il invite à appréhender le jeu à travers des thèmes symphoniques, du punk-rock (la formation The Primals se produit d’ailleurs en dehors du jeu), de l’electro, de la chiptune et d’autres surprises. D’ailleurs savez-vous que Final Fantasy XIV, MMORPG acclamé par la critique, a une version d’essai gratuite ? Qu’elle permet de jouer sans limite de temps jusqu’au niveau 70, qu’elle comprend l’intégralité de A Realm Reborn et les extensions primées Heavensward et Stormblood ? Horizon Zero Dawn, Mass Effect, Bloodborne, Assassin’s Creed pour les grandes licences, Spiritfarer, Death’s Door, Baldur’s Gate pour les plus indépendants, les musiques orchestrales sont souvent composites, ce qui l’enrichit et produit une musique que finalement peu ont entendue auparavant.

The Algorithm - rootkit - Chiptune Remix

La chiptune est aussi le genre de musique qu’on n’aurait plus pensé devoir s’infliger avec l’évolution technologique des consoles de jeu et des ordinateurs et la possibilité de doter les jeux d’audio non compressé. Et pourtant, quelles bandes sons époustouflantes savent composer ses adeptes, en s’imposant des limitations volontaires ou en mêlant cet exercice à d’autre sonorité plus actuelles. Dès Super Hexagon, Chipzel est de ces personnes qui maîtrisent leur sujet. Jake Kaufman avec Shovel Knight ou Anamanaguchi avec Scott Pilgrim vs. the World sont d’excellents exemples d’ambassadeurs chiptune. Au-delà du jeu vidéo, la chiptune existe en tant que scène absolument effervescente, on pourrait citer Shirobon, FantomenK ou plus près de nous, Cyanide Dansen.

Aussi problématiques soient les questions posées par certains jeux et aussi leurs conditions de développement, certaines franchises ont grandement enrichi ma collection de bandes sons, soit par un•e artiste unique soit par une sélection de titres soigneusement choisis. Je pense à Life Is Strange qui m’a fait écouter de la musique folk et pop déprimante alors que je trouvais avant ces genres terriblement ennuyeux : José González ou Daughter qui m’aura ensuite fait connaître l’émouvant travail d’Elena Tonra avec son projet Ex:Re. Mention spéciale pour 65daysofstatic qui signe la planante BO de No Man’s Sky, un jeu dont la sortie a beaucoup fait écrire.

Concerts et festivals

Pouvoir assister à un concert d’un groupe ou d’un•e artiste qu’on apprécie est un privilège, coûteux dès qu’on approche le circuit standard des salles de spectacles, avec des billets pouvant atteindre des sommes vraiment faramineuses (coucou les 200 balles pour voir Blackpink). Souvent donc, on a tendance à aller voir des artistes qu’on aime déjà, histoire de passer une bonne soirée. Si vous avez de la chance, votre groupe favori a ce soir de la voix et du coeur à l’ouvrage et propose une performance de qualité. Mais pour patienter, on a généralement une ou plusieurs premières parties, soit quelqu’un d’un peu catapulté par le tourneur et/ou la boîte de production dans le cas des gros concerts, soit des artistes soigneusement choisi•es par la tête d’affiche. Ce deuxième cas de figure est intéressant à exploiter car on va chercher chez une première partie quelque chose qui complimente le main event, qui diffère. On ne voudrait pas avoir deux groupes avec une proposition musicale identique. Ainsi j’ai pu voir Zeal and Ardor en première partie de Meshuggah, Brass Against avant Tool, ou Kaelan Mikla ouvrir pour Chelsea Wolfe. Parfois même la première partie se révèle être plus marquante que la tête d’affiche et ça a été le cas pour GGGOLDDD qui ouvrait pour Cult of Luna. Les suédois ont très bien joué, la scénographie était au poil et l’exécution très fidèle à l’album, somme toute un très bon live. Mais je ne connaissais pas GGGOLDDD avant d’entrer dans la salle. Comme souvent dans ces cas-là, je n’écoute pas la première partie avant le concert, pour vraiment les découvrir dans ce qui reste à mon avis les meilleures conditions pour écouter de la musique : live.

GGGOLDDD - He is not (PTSD Version)

GGGOLDDD propose une musique qu’on peut qualifier de dark rock ou encore post-punk, un répertoire qui n’a pas pour habitude de me captiver bien longtemps. Mais voilà, à cette occasion, Milena Eva a aussi l’opportunité de s’adresser au public, de nous expliquer comment This Shame Should Not Be Mine est une oeuvre qui lui permet d’appréhender le trauma d’un viol passé et par la même occasion de parler pour toutes celles qui n’en ont pas la force. Et d’un coup, le concert a une toute autre portée, l’affect est instantanément changé et la grille d’écoute ajustée. Et c’est ici que je retrouve à écouter de la musique gothic à mon grand âge (spoiler : il n’y a pas de limite d’âge pour écouter quoi que ce soit).

Palmarès de groupes découverts dans des bars qui ont eu un impact durable sur mes goûts musicaux : Lvmen, The Chinese Stars (le jour où j’ai compris que j’étais certainement pas hétéro), Duracell, Mélatonine, Rroselicoeur, Nostromo, Knut, Shora, Gablé, Mono, Le Singe Blanc, The Ex

De cette façon, il peut arriver que le concert auquel on vous a trainé et auquel vous ne vouliez pas aller s’avère être finalement un mindblow phénoménal. C’est le cas de bien des concerts vécus dans des petits bars, des MJC et autres lieux autogérés et squats. Plus on creuse les scènes indépendantes, plus la curation est soignée et plus on se surprend à bouger son boule, taper du pied, applaudir ou sauter dans un pogo alors qu’on est venu un peu à reculons. L’autre plaisir de ces lieux alternatifs, ce sont les bacs de distro (pour distribution), des vinyles de groupes absolument inconnus au bataillon qu’on va acheter parce qu’un punk hirsute vous hurle, en essayant de couvrir le son du concert, que vous allez adorer car c’est le side-project de Bidule qui a joué dans tel groupe dont vous ignorez naturellement tout.

Les festivals, à condition d’être tolérant•e en termes de qualité sonore, ou de bien vouloir mettre le prix dans des rassemblements tellement grands qu’ils sont devenus une institution, sont des viviers à nouveauté pour les personnes qui viennent voir quelques groupes un peu connus. Il n’est pas rare d’entendre ces mêmes gens dirent qu’iels ont vu un groupe incroyable sur une scène secondaire, ou à une heure tardive (ou très tôt) parce que la scène principale était blindée ou que le groupe connu ne performe pas à leut goût.

Rappelons au passage les nombreux problèmes qui résident aujourd’hui encore dans nombre de festivals où la représentation de l’extrême droite, et celles des agresseurs sexuels et sexistes est un cancer que ne semblent pas vouloir guérir leurs organisateurs. Pour en savoir plus sur le cas du Hellfest - qui est loin d’être isolé - voici un peu de lecture.

Faire du bénévolat sur des événements de ce type - ou mieux encore être rémunéré évidemment - ajoute une part d’affect non négligeable quand on a l’opportunité d’approcher les artistes et échanger avec elleux. C’est ce qui m’a permis en 2007 de rencontrer énormément de gens en arrivant à Nancy, grâce au Nancy Jazz Pulsation. et de faire l’accueil artistes pour des gens que j’idolâtrais comme Magma, DJ Pone, Rob Swift, mais surtout de découvrir des artistes dont j’ignorais l’existence : Rubin Steiner, Olli & The Bollywood Orchestra, ou encore Little Barrie.

Recommandations

J’ai parlé plusieurs fois d’affect ici car c’est vraiment une porte d’entrée dans l’inconnu pour moi. Pour autant, j’ai conscience que pour d’autres, une approche plus académique peut être impliquée : la qualité d’écriture de la musique ou la virtuosité de son exécution (tu connais Polyphia ?). L’aspect technique a également son importance, la programmation de samples et de sons complexes dans la musique électronique avec des artistes comme Autechre ou Squarepusher, ou même la qualité de la production sonore.

Mais attacher à une musique, un•e artiste, un album complet des fois, le sentiment d’un vécu très réel, c’est établir une relation poétique avec ses émotions, en dépit du rationnel. Un moment unique passé à chanter à tue-tête au karaoké, une rupture romantique, la célébration d’une union… Autant d’événements très personnels que peut transcender la musique et leur donner une saveur particulière.

Avec les années, on a tendance à se rendre compte qu’un label ou un•e producteur•ice attire régulièrement notre attention. Là aussi, il y a une logique de curation musicale et un son , une qualité attendue. Un Butch Vig, Rick Rubin, Steve Albini ou Dr. Dre décoivent rarement et apportent à un album une dimension supplémentaire, au-delà de leur seule notoriété. Si vous composez de la musique, vous savez probablement que la production (mixage et mastering) tiennent par fois de la sorcellerie tellement le son en sorti complimente votre travail. De la même façon, des labels peuvent porter toute une pléthore d’artistes mystérieux à découvrir : Ipecac, Skin Graft, Mute Records, Three One G, Tzadik…

J’ai un rapport à la musique électronique très ancré dans la façon dont mes frères et moi, peu éloigné•es par l’âge, avons évolué en tant qu’auditeur•ices. Partant de groupes plutôt renommés tels que Daft Punk, The Chemical Brothers ou The Prodigy, nous avons chacun•e bifurqué vers des ramifications voisines comme le trip hop, avec Portishead, Massive Attack ou Archive, la jungle et les incroyables compilation Junglized, la hardtek sous les beats de Micropoint, Spiral Tribe et autres LSDF. L’IDM, la Drum & Bass, tout le label Ant-Zen/Hymen avec des Converter, Imminent Starvation et Synapscape, la dub avec Bill Laswell et Scorn, tous les projets tordus de Justin K. Broadrick… Cette période est une grande expérimentation de la recherche de nouveautés - avec rétrospectivement parfois quelques errances - partagée avec mes frères, en nous influençant mutuellement et positivement.

La famille a parfois de beaux secrets à révéler, c’est ainsi qu’un oncle, ancien babacool, épris de musiques traditionnelles de divers coins du monde m’a fait découvrir la musique Soufi des derviches avec le qawwali de l’Inde et du Pakistan, le klezmer des Juifs ashkénazes, ou la diphonie du chant de Mongolie. L’avantage majeur et ce qui a pu créer du lien entre moi et cette musique inconnue à l’époque, c’est ce que mon oncle a pu bâtir autour du partage de ces sonorités, une approche bien éloignée du colonialisme, contextualisée avec ce qu’il faut de politique, de culture et de religion.

Une autre période très significative, autant par le foisonnement de découvertes de niche que par l’élitisme et l’hermétisme dans lequel elles ont opéré, est celle vécue à la fac avec la musique contemporaine, électroacoustique et la musique concrète et toutes les pratiques périphériques toutes aussi expérimentales les unes que les autres. Avec les séances de l’Electrophone à Metz, j’ai pu apprendre à connaître aussi bien, John Cage, que Fred Frith - avec le sublime film Step Across The Border - Merzbow, Frédéric Le Junter, Pierre Henry

Il y a quelque chose de l’ordre de l’anti-démocratique, ou du gatekeeping dans certaines pratiques musicales ou des fanbases entières. Si vous écoutez tel style, vous devez alors abandonner toute autre influence pour être considéré•e comme un•e vrai•e fan. tout ce qui est mainstream est commercial et n’a par conséquent pas lieu d’être apprécié par d’autres gens que des faibles d’esprit au goût modelés par le grand Capital… La vérité est que la musique est une passion qui ne saurait connaître de frontières autres que celles qu’on choisit soi-même de dresser.

Battles - Atlas

Une dernière mention honorable pourrait être celle du math rock, partagé à l’époque par un ami qui lui y trouvait une prétention à l’image de sa propre attitude. Moi j’y ai trouvé une musique terriblement rationnelle qui a fait écho à mes névroses de control freak. Alpha Male Tea Party, Battles, Cleft et les excellents Adebisi Shank m’apportent encore énormément de réconfort et expriment les fortes émotions qui parfois peinent à sortir. Du math rock, avec un goût déjà fort prononcé pour le metal, la djent et aujourd’hui l’argent metal ont été accueillis à bras ouverts avec des ponts comme Polyphia ou Animals As Leaders. Hocher la tête sur du Mick Gordon, Northlane, Jared Dines et Erra est alors tout ce qui reste à faire…

Ce qu’on n’écoute pas à cause du contexte

Les algorithmes ont besoin d’énormément d’entraînement, comme tout le machine learning et ne vont que rarement me proposer quelque chose de vraiment surprenant. Ce n’est pas faute de pratiquer une curation soignée mais quand les plateformes d’écoute en streaming ont des préoccupations marketing et des obligations contractuelles, elles vont pousser devant vous des contenus a priori moins pertinents. C’est donc un exercice permanent et parfois frustrant car plus on affine ses goûts, plus on devient exigeant.

L’artiste qui a vraiment été une exellente exception qui confirme la règle en ce sens, c’est Grim Salvo, un artiste à mi-chemin entre du hip hop, du metal et de la folk. Pour le coup l’algorithme de Spotify a réussi à concaténer parfaitement certains de mes goûts majeurs et me proposer une recette parfaitement dosée.

Évidemment, d’autres facteurs nous empêchent d’écouter nombre d’artistes qui pour certains produisent pourtant une musique d’excellente qualité. On pense aux agresseurs, aux pointeurs, aux droitards. Il y a aussi ces pans entiers de la musique qui sont connotés de ces valeurs douteuses ou carrément révoltantes, je pense à beaucoup de variété française, à des “groupes de studio”, ces inventions de toute pièce de gens qui ne se connaissent que peu et n’ont pas d’atomes crochus a priori (cela mériterait un article entier sur le sujet d’ailleurs). Tout cela relève du domaine des valeurs de tout un•e chacun•e et je me garderai bien ici de juger autrui par ses goûts, ayant moi-même cité plusieurs références sur lesquelles il y aurait beaucoup à dire.